Imaginez la scène : Paris 2013. Un couple dort. La femme se réveille en sursaut : « Chéri tu as bien pris ta pilule hier soir ? J’ai rêvé que j’étais enceinte. Le bébé c’est seulement pour l’année prochaine. » Techniquement, cette scène est possible mais s’inscrit-elle dans un avenir réaliste ? La pilule masculine : des femmes en ont rêvé, la recherche l’a créée, les hommes vont-ils l’avaler ?
Prenons l’avis d’un homme de 34 ans : « Une pilule pour homme ! C’est nul comme truc. Jamais je la prendrai. C’est un truc de gonzesse la pilule. » Visiblement, ce n’est pas gagné…
Mais nous pouvons contourner le problème car pour l’instant la contraception pour homme ne s’ingère pas mais se porte. Qu’ils se rassurent, ça ne se verra pas. Nos hommes – enfin les hommes qui auront accepté d’assumer à la place des femmes la responsabilité de la contraception – se promèneront avec un petit bâtonnet sous cutané, un implant semblable à celui qui existe déjà pour les femmes. Placé par exemple au niveau de l’avant bras - ce qui rassurera Pascal, 36 ans, qui imagine « qu’ils le feront voyager par le canal de l’urètre pour le mettre en place»- il leur enverra pour 4 mois une bonne dose de testostérone. Ainsi ils pourront continuer à rouler des mécaniques et à avoir des poils à la moustache, entre leur injection trimestrielle de progestérone – qu’ils accepteront de mauvaise grâce et tremblotants -qui stoppera la production de spermatozoïdes.
« Niet à l’intervention chirurgicale, niet aux piquouses, niet aux allers-retours chez le médecin. » affirme, épouvanté, Sébastien, 29 ans. Devons nous lui rappeler que dans les années 70, les premiers cobayes portaient des slips chauffants ?
Le procédé est, il est vrai, contraignant et un peu moyenâgeux mais à la hauteur du compliqué système de reproduction masculine. En la matière, les femmes peuvent remporter la palme de la simplicité.
Le combat des systèmes de reproduction homme / femme pourrait se résumer ainsi : d’un coté Eve, qui produit un ovule par mois et qui sera un jour ménopausée, de l’autre Adam, qui produit 30 millions de spermatozoïdes par jour et qui sera fertile toute sa vie. Pour rajouter à la difficulté, les testicules du « mâle » contiennent deux types de cellules. Les premières produisent ce qui fait que l’homme est homme, à savoir la principale hormone masculine : la testostérone. Nous lui devons câlins sur poitrine velue, voix de basse tellement sensuelle, bras rassurants, etc. Les deuxièmes, beaucoup plus nombreuses, servent de cellules nourricières aux spermatozoïdes et les protègent des substances sanguines toxiques. C’est grâce à elles qu’un jour, peut être, nous traiterons notre homme de nom d’oiseaux, entre deux cris de douleur encouragés par une sage-femme.
Notre victoire vis-à-vis de la science était donc assurée. A système de reproduction simple, une pilule quotidienne nous prendrons. A système compliqué, à un implant et une piqûre tu auras droit. Il faut en effet, supprimer totalement la production des spermatozoïdes pour arriver à une fiabilité maximum tout en permettant à l’homme de conserver sa libido et sa virilité. Plus simplement, enlever d’un coté et rééquilibrer de l’autre. Sûr que ça ne va pas leur plaire aux hommes.
«La solution femme pilule existe, donc pourquoi changer un truc qui marche et me parler maintenant d’un homme-pilule. Autrement dit, pour que j’accepte il va falloir beaucoup d’informations, que l’on me trouve des sacrés arguments rationnels et de sérieuses motivations psychologiques. », explique Pascal.
La science a fait sa partie et, même archaïque pour l’instant, la solution contraception masculine est possible. Pour que ça marche, le réel problème est ailleurs, à un niveau non plus physique mais cérébral. A un niveau où, à entendre les hommes que nous avons rencontrés, se joue la représentation que l’homme a de lui-même, la conception de leur propre masculinité.
L’homme-James Brown pense : « La société moderne est étrange. L’homme pense que c’est en devenant une femme qu’il aura sa sagesse, et la femme des couilles qu’elle aura sa force. Pourquoi vouloir s’inverser ainsi ? Il se cache une tendance vraiment perverse derrière tout ça. Ce qu’il va se passer au bout du compte c’est que les femmes vont réussir à se passer complètement des hommes. Ou sinon, à lui enlever son sperme comme ça. La femme n’aurait elle pas au fond d’elle la vilaine pensée de transformer l’homme en sex-machine, en bon vieil homme objet? Get euwouleup!»
L’homme-Bernard –Henri Levy disserte : «La femme doit porter les enfants, gérer sa fécondité, bref être maîtresse de ses choix si elle ne veut pas connaître de désagréments. L’homme ne s’est jamais préoccupé du bien être de la femme. La pilule pour homme obligerait le sexe male à revoir sa position. Il serait encore plus responsabilisé. Le fait qu’elle existe et soit accessible entraînerait un nouveau bouleversement des mentalités favorisant l’acquisition de liberté manquant encore trop aujourd’hui aux femmes.»
Les deux nous parlent de la place qu’ils occupent, de leur rôle. A notre époque où nous parlons beaucoup de parité, ne serait-ce pas un formidable exemple ? « Je pense que cette vision n’est valable qu’au sein d’un couple ou l’homme considère que la contraception doit être assumée par les deux partenaires. Dans le cas contraire, cette pilule ne changera rien. », tranche sagement Alexis, 33 ans.
Pour l’instant, assumer en couple la contraception veut dire partager son coût. L’implication ne va pas beaucoup plus loin. Quelques hommes -rares- rappellent à leur dulcinée qu’il est « pilule-time » mais question fiabilité rien ne vaut une sonnerie de portable programmée, une plaquette dans chacun de nos sacs préférés, voire des post-it collés partout dans la maison portant la mystérieuse lettre P et qui intriguent tous les copains de votre mecs qui imaginent que vous faites partie d’une secte aux rites bien étranges. C’est donc un fossé, une douve, un abîme qu’auront à franchir les hommes entre porte-monnaie et implant-piqure.
Admettons que sous hypnose notre amoureux consente à nous alléger de tous les éventuels effets secondaires et des risques que nous prenons, passé un certain age, et qu’il ait la garantie médicale qu’il n’a rien à craindre. Est ce que nous, nous lui ferions confiance ?
La pilule pour homme sera peut être l’initiation de leur responsabilité. Responsabilité parentale s’entend. Sans consentement de l’homme, pas de bébé. Ce n’est pas pour autant que les femmes remettront entre leurs mains toute la charge de la contraception. En cas de négligence, ce sont toujours elles qui supporteront la grossesse, même si certaines comme Marianne, 33 ans, fantasment sur « l’homme qui comme l’hippocampe pourrait porter l’enfant. »
Une fois nos hommes bien conditionnés à leur nouvelle virilité, il semble que l’opposition à cette nouvelle pilule viendra plutôt des femmes. Question de choix, comme Isabelle 47 ans « je veux continuer à assumer ma fertilité indépendamment de quiconque », d’habitude, comme Barbara 25 ans, « depuis presque 40 ans ce sont les femmes qui décide de la contraception. La pilule initiât leur liberté. Les premières femmes qui l’ont testé ont pris des risques. Pour moi, en tant que femme, il est logique de la prendre. », et de conséquences, comme nous l’exprime Marianne « S’il oublie sa piqûre, que se passe t-il ? Le temps qu’il s’en rende compte c’est trop tard pour la pilule du lendemain et le voila qui nous fait un enfant. Reste à le garder ou à avorter…Je préfère assumer la rupture d’une capote ou l’oubli de ma pilule car je suis responsable de mes actes. »
On a beau leur expliquer, aux femmes, qu’il faut 3 à 4 mois après la fin du traitement pour que les hommes redeviennent fertiles, ça ne change rien. Au delà du concept même de la pilule, qui est ne pas avoir d’enfant, vient s’ajouter toute la lutte des femmes pour leur liberté, résumé par l’emblématique « Mon corps est à moi! ». « Même si dans quelques années la pilule pour homme fonctionne aussi bien que celle pour femmes, je continuerais à avoir un contraceptif qui m’est propre. Non pas parce que je ne ferais pas confiance à mon mec mais parce que je ne peux pas me sentir libre si ma procréation n’est pas aussi maîtrisée par moi. ». Notion partagée aussi bien par Barbara, qui est une jeune femme, que par Isabelle, plus âgée. « La condition fondamentale et essentielle de ma liberté passe par la maîtrise de ma contraception. Pour moi il n’y a pas de liberté de l’esprit sans celle du corps. »
Toutes les femmes n’entrent pas dans la ronde autour du feu de soutiens-gorge. D’autres ont juste peur que la fameuse expression « faire un enfant dans le dos » se décline au féminin « Je ne pense pas que je ferais confiance à un homme même dans une relation de couple stable, affirme Bénédicte, 42 ans. Il y a trop d’enjeux dans un sens comme dans l’autre en cas de désaccord. Bien sur, l’idéal est que les décisions se prennent à deux sur ce sujet mais que se passera t-il, par exemple, si l’homme veut un enfant et pas la femme ? Comment être sure qu’il ne nous mette pas enceinte ? Je ne prendrai pas le risque. »
Même celles qui, comme Marie-hélène, 36 ans, prêchent pour la nouvelle égalité de l’homme en la matière : « eux aussi pourront revendiquer de procréer quand ils le veulent, avec qui ils veulent et sans le dire : le préservatif ça se voit. Ils ne pourront plus se plaindre d’être coincés par les femmes sur une paternité non voulue. J’espère qu’ils y verront un intérêt personnel mais qu’ils se rendront compte aussi que, du coup, c’est vraiment à égalité qu’un couple peut prévoir d’avoir un enfant. Les hommes devraient donc commencer à se reveiller : le pouvoir des femmes est dans leurs mains avec la maitrise de la contraception», n’abandonneront pas pour autant leur pilule « Malgré tout, je n’aurais pas confiance. Non pas que le charmant oiseau qui chante le soir vos louanges au lit n’en soit pas digne, mais parce qu’il est tout de même moins concerné. »
En attendant ce chamboulement, une pensée, donc, pour les 350 cobayes européens, nos nouveaux hommes, maîtres de leur fertilité sans être passés par la case vasectomie. Aujourd’hui, en pleine ère sida, surtout si une relation est occasionnelle, le contraceptif le plus efficace reste le préservatif. Et en la matière, nous avons le choix. Celui du goût, de la taille, et des artifices pour atteindre le nirvana - tels que striures ou picots- mais aussi celui du modèle : féminin-pas-du-tout-glamour ou masculin.
Alors messieurs, il est vraiment temps de se secouer car ce qui sera vrai l’est déjà : la contraception n’est pas qu’une histoire de femmes !
Marion Balique
Informations complémentaires:
Ce sont les laboratoires Organon et Schering AG qui unissent leurs efforts depuis 2002 pour mettre au point un contraceptif pour homme.
Des études cliniques aux résultats encourageants ont déjà été menées sur des volontaires Chinois, Sud africains et Australiens.
Dans plus de 8 cas sur 10, il a été possible de supprimer la production de spermatozoïdes en quatre mois et de retrouver une fertilité normale dans les trois mois après l’arrêt du traitement. Aucune grossesse n’a été enregistrée.
Une autre étude est en cours sur 350 cobayes Européens répartis sur 6 pays. Elle devrait prendre fin en décembre 2005.
C’est la phase 2 du protocole d’essais cliniques qui se poursuivra par une troisième phase une fois les résultats complets et analysés ce qui augure une mise sur le marché dans 5 ans au moins.
D’autres formes et déclinaisons sont à l’étude mais entraînent pour l’instant trop d’effets secondaires.
Sur 1900 femmes interrogées sur la pilule pour hommes en Ecosse, Chine et Afrique du sud, plus de 90% pensaient que « c’est une bonne idée » en Ecosse et en Afrique du sud et 71 % en Chine.
Sur 1800 hommes interrogés dans les mêmes pays sur la méthode contraceptive qu’ils préféreraient entre le préservatif, une pilule quotidienne, une injection trimestrielle et un implant posé pour plusieurs mois, la préférence va à la pilule quotidienne, pour les hommes Irlandais et Sud africain, les hommes chinois préfèrent de loin la capote, et la solution de l’implant est la moins populaire.