Ou selon le décret du 21 janvier 1887, du général Georges Ernest
Jean Marie Boulanger, dit "Général Boulanger", qui voulait que l'on rebaptise chaque ouvrage militaire du nom d'une gloire militaire, si possible locale,
"Fort SERAS".


Par la position choisie par le Colonel Cosseron de Villenoisy sur la crête du St Eynard, dont il prit le nom, à une altitude de 1 325 mètres, le fort devait assurer l'interdiction des routes venant de la Savoie et conduisant à Grenoble par le massif de la Chartreuse. Il devait pouvoir également par des tirs plongeants, contrecarrer un siège du fort Bourcet. Enfin, il devait maintenir une surveillance des lointains et, grâce à son télégraphe optique, pouvait assurer les communications entre les divers forts entourant la ville, avec le relais du Moucherotte, mais également avec les places éloignées telles Barraux, le Mont Perché, le Mont Gilbert et même Lyon.

Les études nécessaires à la construction du fort commencèrent en 1872 par celle d'un avant-projet sommaire qui fut approuvé en mars 1873 et se conclure par l'approbation du projet définitif par le Comité des fortifications en octobre 1874. Cette période permit de négocier l'achat des terrains d'une superficie de 274 410 m2, qui se trouvaient sur la commune du Sappey, pour un montant de 17 167 F de 1875. Et c'est en juin de cette même année que débutèrent les travaux de construction.

Le fort dessine un V largement ouvert face au Nord, la façade principale faisant face, elle, au Sud. Il est constitué de 4 bâtiments juxtaposés, d'une surface bâtie de 2 375 m2 ouvrant sur deux cours de 4 400 m2. Le bâtiment "a", en est l'essentiel, c'est pratiquement en son milieu que se trouve l'articulation des deux branches du V. Il renferme la totalité des chambres de la troupe et des sous-officiers. L'articulation abritait l'infirmerie, la tisanerie, la cuisine de la troupe et une cantine. Ces deux derniers locaux n'ayant pratiquement pas changé de destination puisqu'ils sont aujourd'hui à nouveau : cuisine et salle de restaurant.

L'extrémité Est, près de la porte d'entrée abritait des magasins à poudre et à munitions, ainsi que des ateliers de préparation du matériel. Enfin, un long couloir, qui borde le côté du front d'attaque, permet la desserte à l'abri de l'ensemble des locaux.

La construction est simple. Elle est constituée d'une structure composée de voûtes à segments d'arcs en plein cintre qui prennent appui sur d'imposants murs de refends. Cette structure transparaît dans la façade principale située au Sud-ouest, elle en constitue la modelature et le rythme de l'ensemble n'est interrompu sur chaque façade des ailes du V que par deux trames différentes.

Les voûtes de ce bâtiment sont construites en maçonnerie de pierre de 0,50 m d'épaisseur, supportent des traverses-abris et sont espacées par un entre axe de 6,00 m. Leur longueur est de 12 m pour une hauteur de 5 m. Ces voûtes sont protégées, ainsi que les traverses, par des chapes de ciment étanchées à l'asphalte, avec forme de pente vers des exutoires, depuis lesquels des tuyaux d'écoulement dirigeaient l'eau vers une citerne. Ces chapes étaient protégées par une couche drainante en pierre d'environ 0,50 m d'épaisseur et l'ensemble par une couche de terre végétale engazonnée d'un mètre d'épaisseur. A partir du parapet d'artillerie, le tombant vers le mur d'escarpe fut recouvert par un mur de lauzes encore visible et en bon état.



La porte d'entrée du fort de St Eynard avec le pont, aujourd'hui dormant, qui surplombe le profond fossé qui entoure le fort. Sur le mur de droite, à la hauteur du garde-corps, s'ouvre une meurtrière de grenadage.

 

Le bâtiment "b" est situé à l'extrémité de l'aile nord-ouest contre laquelle il prend appui. Comportant deux étages sur rez-de-chaussée, il est plus particulièrement destiné aux officiers et comprend, outre les chambres et une cuisine qui leur étaient réservées, quelques magasins sensibles et le bureau du télégraphe.

Sa construction également en pierre est caractéristique des ouvrages de l'époque : plancher en voûtains reposant sur des I.P.N. Sa couverture constituait une terrasse dite à l'épreuve "des boulets du moment" était protégée par une imposante épaisseur de terre.




La photo représente le fossé Nord du fort, le mur de contrescarpe dont on aperçoit l'axe central et la flanc Nord du tombant des terres de protection des casemates, revêtu de lauzes.




Face à la chaîne de Belledonne, la cour intérieure et le bâtiment "a"surmonté de traverses-abris et, à droite, au bord de la falaise, la rampe d'accès pour permettre la mise en place des canons de 155 en batterie, entre les traverses.

 


Une caractéristique autrement plus intéressante pour l'époque, ce bâtiment fut protégé, dès sa construction, - les photos prises avant sa restauration en témoignent - sur les façades Sud-ouest et Sud-est par un bardage en bois, décollé de la façade par une pose sur liteau, permettant à l'arrière une circulation d'air, qui ressemble à s'y méprendre à une isolation par l'extérieur telle qu'on pouvait la concevoir il y a seulement quelques années. On peut penser, sans nul doute, qu'il s'agit là d'une tentative d'isolation thermique par l'extérieur, de manière à donner à ce bâtiment, destiné aux officiers, un meilleur confort.

Le bâtiment "c", à gauche en entrant dans le fort, abrite des chambres de sous-officiers, des magasins, un escalier d'accès à une traverse de préparation d'obus, mais surtout, chose rare dans les forts entourant Grenoble, une écurie pour 5 chevaux, des équipements du train d'équipage et une forge pour le ferrage des chevaux ou des mulets. Sa construction également en pierre, surmontée d'une toiture à l'épreuve, soutient l'une des rampes d'accès vers les traverses-abris supérieures.

Le bâtiment "d", toujours construit en pierre, s'appuie, par l'intermédiaire d'une voûte en plein cintre à segment d'arc raccourci, sur l'articulation du V. Cette voûte constitue le passage entre les deux ailes du bâtiment "a" et supporte le passage de la deuxième rampe d'accès aux traverses-abris, de même que la supporte le corps du bâtiment qui ne comprenait que la boulangerie, le four et la paneterie.




Ci-dessus le bâtiment "b" destiné aux officiers, après les travaux de rénovation. A remarquer la parfaite reconstitution du bardage isolant.


Enfin, on ne saurait oublier une latrine extérieure située du côté ouest, construite en surplomb sur la falaise, à présent démolie et dont il ne subsiste plus que l'emplacement, mais dont l'utilisation devait encore accroître sa justification.

La construction fut complétée par l'aménagement des extérieurs. Le fort était ceinturé, sur la face opposée à la falaise dominant Grenoble, par un profond fossé conforté par un mur d'escarpe et de contrescarpe. Notons - et cela est bien rare dans des ouvrages de cette période où l'on construisait davantage de caponnière - la réalisation de deux coffres de contrescarpe dont le tunnel d'accès et les aménagements sont encore visibles depuis le pont, qui lors de sa construction était basculant.

Les travaux extérieurs comprennent également l'aménagement à l'ouest de huit emplacements de batterie, où l'on pouvait accéder pratiquement depuis le pont extérieur par un tunnel creusé dans le roc, long d'une centaine de mètres.




Vue aérienne du fort du St Eynard. L'on aperçoit parfaitement au bord de la paroi de calcaire, les emplacements de batteries extérieures au fort, accessibles par un tunnel que l'on devine avant le premier emplacement.


Edifié à une époque ou les transports, aussi bien pour les hommes que pour les matériaux : tels la chaux et le sable, qui furent acheminés depuis Grenoble, étaient particulièrement pénibles, sa construction, en raison de sa situation géographique se déroula dans des conditions extrêmement difficiles, elle nécessita la main d'œuvre de 300 ouvriers, pour la plupart émigrés d'origine italienne, et de 115 soldats, sous-officiers et officiers du Génie.

Il fallut araser le sommet de la montagne, tracer et tailler la route sur ses flancs pour amener : hommes, matériaux, eau ; tâches qui nécessiteront de nombreux tirs de mines dont les retombées obligeaient, par mesure de sécurité, de couper la route du col de Porte de Corenc au Sappey. L'eau provenait du hameau de la Bordelière, situé au pied de la montagne à côté du Sappey, et son coût, rendue sur place était de 4 centimes le litre. Quant au sable, son prix de revient sur le chantier se situait aux alentours de 50 F le mètre cube. Finalement et malgré tout cela , et sans doute en raison de l'utilisation d'une importante main-d'œuvre militaire, son coût final de
1 155 833 F fut inférieur à ceux construits sur les collines plus proches de Grenoble.

Dès la fin de sa construction, en octobre 1879, il sera affecté à l'artillerie de la XIVème division militaire de manière permanente jusqu'à la fin de la guerre de 1914. Sa garnison était composée de 436 soldats, 26 sous-officiers et 15 officiers. L'infirmerie du fort pouvait permettre l'accueil de 24 malades. Quant à l'écurie elle pouvait abriter 5 chevaux ainsi que les équipements correspondants. L'alimentation en eau étai assurée pour 3 mois par une citerne de 220 m3 et le four à pain pouvait cuire jusqu'à 350 rations.




Vues du fossé Nord-Est du fort où l'on aperçoit à gauche les reste d'une embrasure de tirs de l'un des coffres de contrescarpe qui avait été construit dans le massif calcaire du sommet.


La dotation en armement était particulièrement importante puisqu'on pouvait aligner, entre les traverses-abris supérieures ou emplacements de batteries situés au bord de la falaise : 2 canons de 155 de siège, 6 canons de 120, 6 canons de 5 et pour assurer une défense plus rapprochée ou protéger le fort du Bourcet : 2 mortiers de 22 et 3 de 15.

Les feux de flanquement des fossés depuis les coffres de contrescarpe étaient assurés par 6 mitrailleuses. Et les magasins pouvaient recevoir 73 800 Kgs de poudre et 592 000 cartouches confectionnées.


 

 


le télégraphe optique

Si l'artillerie était essentielle, l'autre point important du fort du St Eynard concernait les communications, indispensables au bon fonctionnement de l'ensemble défensif de Grenoble. Tout au début les transmissions étaient assurées par le télégraphe optique dont les portées variaient en fonction des types d'appareils. Pour les plus performants destinés à être placés dans les forteresses, les portées pouvaient atteindre 120 km. L'ensemble optique du St Eynard était en relation avec les forts entourant la ville, avec le relais du Moucherotte, mais également avec des places éloignées telles : Barraux, le Mont perche, le Mont Gilbert et Même Lyon. Enfin plus tardivement il fut installé des lignes téléphoniques Afin de pallier toute défaillance éventuelle du matériel ou de surmonter une période de mauvais temps, les places importantes étaient équipées de colombiers militaires relevant également des autorités locales du Génie. Le service était assuré par des sapeurs colombophiles qui soumettaient leurs pensionnaires à un entraînement en pratiquant des échanges entre les places.

 


Les photographies, qui datent environ de 1880, représentent des sapeurs du Génie chargés du fonctionnement du télégraphe optique. La dynamo visible au 1er plan est une machine à rotor "en anneau" Gramme Zénobe du nom de son inventeur. Il s'agit d'une 1ère machine électrique fabriquée en série, environ 2000 exemplaires.
 

 


Pendant la grande guerre, n'ayant pas à craindre une attaque de nos alliés Italiens, et pour faire face à la puissance de feux de l'armée allemande, ses canons furent démontés et envoyés sur le front de l'Est. A la fin des hostilités sa garnison fut réduite et le fort sera pratiquement désarmé.

Entre les deux guerres, probablement en 1930, le Génie y installa, comme cela avait été le cas à la Bastille, un téléphérique. Mis en place par des spécialistes téléphéristes du Génie, il communiquait depuis une plate-forme située à l'ouest avec le col de Vence. Cet ouvrage ne servait qu'à transporter dans des wagonnets suspendus que des matériaux, des munitions ou de la nourriture. Il n'était pas utilisé comme transport de personnel, bien que quelquefois, transgressant les instructions, certains qui souhaitaient éviter la fatigue de la montée purent l'emprunter.




Les deux photographies représentent deux vues différentes du téléphérique, mis en place par main d'œuvre militaire, qui permettait de faire monter, à l'aide de wagonnets, les munitions et la nourriture depuis le Col de Vence jusqu'au fort.


A l'armistice de 1940, les troupes italiennes l'occupèrent et le rendirent en 1942 aux autorités françaises de l'armée d'armistice qui l'affectèrent à une section de rééducation formée au sein de la 14ème division militaire.

Après le débarquement allié en Afrique du Nord, les troupes allemandes l'occupèrent fin 1943 avant de se replier sur Grenoble en juin et début juillet 1944. Puis à la suite d'opérations de guérilla contre la Wehrmacht dans le secteur de Clémencière et du fort de la Bastille, la compagnie Stéphane l'investit du 28 juillet au 5 août de cette même année et poursuivit à partir de là le harcèlement des troupes ennemies.

Après les hostilités, en raison des profondes modifications dans l'art de faire la guerre et de son éloignement, il ne présentait plus d'intérêt stratégique et sera pratiquement laissé à l'abandon et aux déprédations, mais restera sur la liste des immeubles militaires jusqu'en 1963 où il fut acheté par les communes de Corenc et du Sappey.

Laissé dans un état de déliquescence avancé, comme en témoigne les nombreuses photos exposées dans la salle "historique" aménagée pour permettre aux visiteurs de connaître l'état dans lequel se trouvait le fort et toutes les pathologies auxquelles on a dû faire face : végétation envahissante désolidarisant les maçonneries, vandalisme, destruction gratuite pour le plaisir ou vénale pour récupérer des matériaux, désolidarisation des structures : linteaux, poteaux, poutres, fissures des enduits d'étanchéité, les élus envisageaient sa démolition…, quant à partir de 1991, une association l'a confié à une entreprise privée, qui a mis en oeuvre dans des conditions d'éloignement coûteuses, avec une climatologie rigoureuse, des travaux souvent périlleux qui ont permis de réussir une réhabilitation particulièrement délicate.




Les photos ci-dessous représentent, la porte d'accès au fort. La porte qui ne tenait plus que par des contrefiches a été entièrement reconstituée.


Le fort qui bénéficie d'un panorama exceptionnel d'où la vue, face à la chaîne de Belledonne s'étend du Mont Blanc au Vercors et couvre la Chartreuse, où l'on plane au-dessus de Grenoble à plus de mille mètres, c'est un des rares endroits où les pieds sur terre l'on puisse voir la partie supérieure des avions en plein vol, a retrouvé de nouvelles destinations. On y présente des expositions, des séminaires.

Il est désormais ouvert au public qui peut tout à loisir le visiter et même s'y restaurer. Et parfois, si vous avez de la chance, alors que la chaleur commence à réchauffer les pierres, vous pourrez admirer un couple de circaètes entrain de chasser leur menu favori.


Ces photos concernent l'angle Nord-Est du bâtiment "c" abritant les écuries et supportant une rampe d'accès pour l'artillerie et une traverse-abri qui a dû être entièrement reconstruite, ainsi que les murs de l'écurie et la quasi-totalité des revêtements en pierre.


 
Jean Azeau.






 

 
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