« Laïcité et enseignement supérieur » (30 mai 15)

Samuel Mayol : « L’Université, territoire sacrifié de la laïcité ? » (Colloque du CLR, 30 mai 15)

Directeur de l’IUT de Saint-Denis (Université Paris 13). 31 mai 2015

Chers amis,

Je commencerai mon exposé en vous citant un célèbre président d’université : « Concernant la laïcité, je ne vois vraiment pas l’intérêt de faire une loi quand il n’y a ni demande, ni problème. »

Comment ne pas voir que la situation au sein des universités françaises est aujourd’hui inquiétante. Et malheureusement les évènements survenus à l’IUT de Saint-Denis au cours de l’année 2014, tout comme à Sciences Po Aix, à la Sorbonne, à l’université Paris X Nanterre ou à l’université Paris 13, depuis cette rentrée universitaire ont mis en avant cette réalité et ne sont finalement que symptomatiques de ce qui se passe réellement au sein des universités françaises. Les faibles soutiens apportés à la communauté universitaire montrent à quel point, à tous les niveaux de l’état et du monde universitaire, cette question, certes sensible, n’est en réalité pas abordée avec l’importance qu’elle mérite et le courage qu’elle nécessite. Tout semble nous faire croire qu’on n’a pas évalué ou qu’on ne veut pas évaluer l’ampleur de la situation.

Les contentieux sont de plus en plus nombreux et concernent tous les secteurs de la vie universitaire, qu’il s’agisse de demandes de dérogations pour justifier une absence, du port de signes d’appartenance religieuse, d’actes de prosélytisme, de la récusation de la mixité tant au niveau des étudiants que des enseignants, de la contestation du contenu des enseignements, de l’exigence de respect des interdits alimentaires, de l’octroi de lieux de cultes ou de locaux de réunion à usage communautaire.

La liste s’enrichit régulièrement de revendications nouvelles et surtout les cas de conflits se multiplient. Il est temps d’admettre au moins en cette période de débats, que la situation est réelle et que le débat mérite clairement d’être posé et qu’il ne s’agit pas, à l’instar de ce que disent certains, d’un débat stérile.

Refuser de voir les problèmes en face, de poser le débat, d’établir le diagnostic, et d’y apporter des solutions, c’est une attitude tout autant irresponsable que suicidaire. Les tergiversations que nous avons connu pendant quinze ans pour aboutir finalement à une loi en 2004 pour les collèges et les lycées doivent nous servir de leçons pour ne pas reproduite une telle erreur.

Alors que de nombreuses personnes continuent à me dire et à clamer que les évènements de l’IUT de Saint-Denis ne sont que des faits divers, je souhaite ici revenir sur des évènements que j’ai eu à gérer en tant que directeur d’un IUT.

Tout d’abord, je souhaite dire à quel point l’IUT de Saint Denis est un joyau de l’enseignement supérieur. Composé de 2000 étudiants, l’IUT de Saint Denis, au cœur de son territoire est particulièrement fier de participer activement depuis 1969 à l’insertion professionnelle de jeunes issus de ce territoire. Particulièrement soucieux de favoriser l’ascension sociale de nos étudiants, les équipes administratives et pédagogiques d’un des plus importants IUT de France ne ménagent pas leurs peines pour mener à bien notre mission de service public, convaincus de faire le maximum pour nos étudiants. Vous aurez compris à quel point c’est une fierté pour moi de diriger cette magnifique institution que certains veulent pourtant anéantir depuis l’année universitaire dernière.

Divers problèmes se sont posés à moi et chacun à leur niveau interpellent sur le respect de la laïcité au sein de nos institutions. Les dysfonctionnements que j’avais dénoncés dès le mois de novembre 2013 et pour lesquels j’ai mis en place les mesures nécessaires afin de les résoudre ont donné lieu à un rapport de l’inspection générale des services.

On peut tout d’abord parler d’entraves réelles à la laïcité. Outre la vente de sandwiches Hallal à laquelle j’ai mis fin dès le mois de novembre 2012, je me trouve confronté à la découverte d’une salle de prière clandestine comprenant une trentaine de tapis. A l’origine de ces entraves, une association étudiante qui obtient l’autorisation de ce commerce par les responsables même de l’université. Je décide bien entendu de mettre fin à cette vente de sandwiches entre autre pour des raisons évidentes de respect de la laïcité. Ce dernier point doit ici, collectivement nous interpeller lorsque des étudiantes subissent des pressions si elles n’achètent pas les sandwiches hallal de cette association. Dans ce cas précis, une laïcité respectée au sein des universités protège les étudiantes.

A l’heure où je vous parle, cette association, désormais exclue de l’IUT, a encore droit de citer au sein même de mon université d’appartenance. Comment une institution comme la notre peut elle manquer autant de cohérence.
Cette même association avait détourné le local qui lui était attribué en salle de prière. Sans le savoir, j’ai souhaité récupérer les clés de ce local pour le partager équitablement avec d’autres associations étudiantes. Ce jour là, le 3 février 2014, l’IUT se trouve confronté à une alerte à la bombe : 2000 étudiants, 200 enseignants, 100 personnels administratifs à évacuer. Le tramway est dévié, le bureau de poste à proximité est évacué, la place du 8 mai est bouclée. Et c’est au moment où on fouille l’IUT que la salle est découverte.

On peut ensuite évoquer des problèmes de communautarismes avérés au sein d’un des départements. Des faux enseignants vacataires, de faux diplômes délivrés, des heures de cours non justifiées, des cours non assurés, des matières factices, des enseignantes malmenées, humiliées voire insultées, des étudiants méprisés. Au final, près de 196000 euros auraient été détournés si je n’avais pas stoppé cette situation inacceptable.

Lorsque le rapport de l’IGAENR [Inspection générale de l’administration de l’Education nationale et de la Recherche] permet lui même d’établir les liens entre les deux parties de cette affaire, on constate alors que la laïcité est en fait mise à mal sous différentes formes. Et si cela se passe ainsi au sein de mon établissement ne nous leurrons pas, cela peut bien entendu arriver dans d’autres établissements.

Mes interventions, le soutien réel des étudiants et des enseignants dans mon combat pour assainir une situation scandaleuse ont donné lieu à un certain nombre d’intimidations dont j’ai été victime entre le 31 janvier et le 15 mai 2014 : pneus de mon véhicule dégonflés et crevés, quinze lettres de menaces de mort. Le 21 mai 2014, j’ai été victime d’une agression physique.

Mi-décembre, les menaces reprennent : je reçois deux livres rédigés en langue arabe et ornés d’une tête de mort. Plus récemment, à la suite des terribles événements des 7, 8 et 9 janvier, je reçois à trois reprises la une photocopiée de Charlie Hebdo « tout est pardonné » avec cette inscription complémentaire « pas partout, en tout cas pas à l’IUT ». Puis je reçois une impression de mon portrait avec les yeux crevés.

Dernièrement encore, des paliers ont été franchis. Ma voiture a été endommagée le 22 avril dernier dans le parking de mon immeuble. Vitre cassée et deux feuilles posées sur les deux sièges avant avec le mot « Mort » écrit dessus.
Le 17 mai, 7 collègues reçoivent des sms de menace avéré de mort, couplé avec une allusion antisémite notoire. N’ayant visiblement pas réussi à me décourager avec 30 menaces de mort en 1 an et demi, on s’attaque maintenant à ceux qui au sein de l’IUT m’ont aidé à révéler la gravité de la situation. Et je tiens à souligner ici le rôle déterminant de mon ami Florent Tetard, ici présent, membre du conseil d’administration de l’IUT et de l’Université et que j’avais moi même nommé à la tête de la commission financière de l’IUT. Son rôle et son soutien sans faille ont été déterminants.

Il semble clair que ces intimidations répétées, ont pour mission de me faire peur, de semer la terreur, de me faire céder, de me faire abdiquer, de m’obliger à lâcher le combat pour en définitive capituler.

Fort du soutien sans faille de mes collègues, de mes étudiants dont le rôle a été déterminant, et bien entendu du soutien quotidien réconfortant de ma femme, de mes enfants et de ma famille, à aucun moment je n’ai songé abandonné. Et pourtant notre vie est devenue un enfer depuis ces évènements : changement de voiture hebdomadaire, changement de place de parking, changement de boîtes au lettres, changement d’horaires et d’itinéraire pour aller travailler. A ceux qui ne sont pas encore convaincus, je leur demanderai s’ils accepteraient de contraindre leurs enfants à ne plus sortir avec une baby-sitter dans la rue, à limiter les sorties scolaires, à vivre les volets fermés, à ne plus aller dans le parking sans la présence d’un voisin, à rentrer chez soi le soir accompagné par les forces de police. Tout cela s’impose à moi et de fait à ma famille depuis un an. Et le plus dur est encore de trouver les mots pour rassurer mon enfant de 9 ans qui me demande pourquoi je suis menacé, l’ayant lui-même appris à l’école, ou encore trouver les explications quand mon autre enfant de 3 ans se demande pourquoi son papa se cache dans la salle de bain pour pleurer.

Beaucoup auraient arrêté ou capitulé et il m’est parfois arrivé de demander à ma femme Anne, ici présente, et que je tiens à remercier si elle souhaitait que j’arrête tout.

Me répondant systématiquement par la négative, elle doit être autant que moi imprégnée des valeurs de la République qui doivent être défendues partout et j’avais presque envie de dire surtout au sein des universités dont j’ai rappelé au début de mon intervention à quel point elle a un rôle important dans la construction d’une société plus égalitaire.

Et pourtant en faisant tout cela, alors que je n’ai le sentiment de n’agir qu’en citoyen souhaitant défendre les valeurs de la République, c’est un procès en islamophobie qui m’est fait. On essaie de me salir, de me dénigrer et de me faire passer pour un raciste. On invoque même sur les réseaux sociaux une « chasse aux arabes » orchestrée par le directeur de l’IUT. Vraisemblablement un des plus fervents militants anti raciste de cet IUT, j’avoue que l’attaque m’a souvent affectée. Et finalement celle qui m’a le plus rassuré sur l’image que je renvoie sur ce sujet est une mes étudiantes : Naïma.

Il y a à peine 3 mois, une de mes étudiantes portant le voile se présente en cours et se met au premier rang. Alors que je commence mon cours, elle se lève et ôte son voile. Me voyant étonné, elle décide de prendre la parole en disant qu’elle soutien mon action dans l’IUT, qu’elle connaît mes positions et mes valeurs, qu’elle sait à quel point je me préoccupe de mes étudiants et qu’elle souhaite juste retirer son voile une fois pour me témoigner son soutien.

Tout au long de cette crise, J’ai tout mis en œuvre pour apaiser la situation au sein de mon IUT et en aucun cas je n’ai cédé aux nombreuses tentatives d’intimidation.

Alors qu’on était dans une rupture de service public avérée au sein de ce département, mon seul et unique objectif a été de gérer l’IUT dans le cadre des textes en vigueur, des instances officielles, des options prises par le conseil d’administration de l’IUT et dans le strict respect de la loi.

Depuis un an, j’en appelle les pouvoirs publics à ne pas déconsidérer la situation que nous vivons à l’IUT de Saint Denis. Là aussi, il a fallu user de patience et de détermination mais je suis heureux de vous annoncer que la ministre elle-même se préoccupe aujourd’hui personnellement de notre situation et a commencé à prendre les mesures nécessaires pour nous aider à finaliser le travail d’assainissement que collectivement nous avons entrepris.

Certains ont souhaité anéantir l’IUT de Saint Denis mais en vain. Plus que jamais, nous irons de l’avant, nous nous tournerons vers l’avenir, nous proposerons nos formations à nos futurs étudiants. Afin de bien signifier à ses détracteurs que notre IUT est toujours debout, je vous invite tous le 11 juin prochain à un magnifique colloque que nous organisons à l’IUT de Saint Denis et dont le thème est : « changeons d’époque : la force non violente ». Plus nous serons nombreux ce jour là, plus nous montrerons que nous sommes encore en vie.

Mes amis, c’est dans l’enseignement supérieur que se joue pour une bonne part l’avenir de la société. L’Université est une chance pour le développement des savoirs fondamentaux, pour la recherche, pour notre rayonnement international, pour notre développement économique.

Nos universités et nos grandes écoles ont été longtemps des lieux dans lesquels et grâce auxquels l’ascenseur social fonctionnait. Elles ont largement contribué au rayonnement scientifique de notre pays.
 Alors qu’on évoque l’émergence d’une « société de la connaissance », nos universités, plus que toute autre institution doivent être le vecteur de cette cohésion républicaine, car elle s’adresse précisément à des adultes. De par leur maturité, leur niveau intellectuel, leur niveau d’études, les étudiants devraient être en mesure de comprendre que l’université, lieu d’échange de savoir, de débats, de réflexions, de recherches est par essence un lieu d’ouverture sur d’autres personnes, sur d’autres savoirs, sur d’autres théories. A ce titre là, toute volonté de repli sur soi, sur sa religion, sur ses opinions, sur sa communauté est antinomique avec ce qui fait l’essence même de l’université française.

Si l’université doit donc contribuer au développement personnel des étudiants et être le lieu de la démocratisation du savoir, le comportement de certains étudiants vise précisément à refuser certains de ces savoirs, à imposer leurs visions de la connaissance, souvent d’ailleurs en contradiction avec les théoriciens et chercheurs.

Une nouvelle fois, l’Université française est à un tournant de son histoire. Au moment où se pose la question de son avenir, il me semble essentiel de se poser à nouveau la question de sa mission.

L’université doit, en intégrant pleinement et à tous les niveaux la grande diversité des savoirs, qu’ils soient académiques ou techniques, être le fondement de la cohésion de notre société.
 Et à ce titre, la Laïcité est le socle indispensable à cette cohésion.
Ne pas comprendre ou admettre que la laïcité doit s’appliquer pleinement au sein des universités, c’est prendre résolument le risque de créer une société fractionnée, communautariste, ghettoïsée. C’est alors le modèle de société à la française qui sera remis en cause. Les conséquences ne seront pas internes à l’université, mais généralisée à l’ensemble de notre société.

Je terminerai par une citation de Roger Cousinet et que je fais mienne depuis un an : « si nous étions décourageables, il y a longtemps que nous serions découragés ».
Vous aurez compris, mes amis, que je ne céderai pas et irai au bout de mon combat car pour moi, la laïcité est le ciment d’un vivre ensemble apaisé et surtout d’une société fraternelle.



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