Il sera beaucoup pardonné à Doug Liman, réalisateur d’un récent remake calamiteux du déjà très moyen Road House (1989), notamment parce qu’il a initié en 2002 la saga Bourne et parce qu’il a ensuite tourné l’excellent Edge of Tomorrow (2014), réjouissant film de science-fiction ou les convaincants Fair Game (2010) et Barry Seal (2017).
A défaut d’être prolifique ou génial, Liman est un excellent faiseur, à l’aise avec les budgets pharaoniques comme avec les productions modeste. Alors que Barry Seal, l’histoire authentique d’un pilote américain travaillant pour les cartels mexicains (évoquée par ailleurs dans la remarquable série Narcos) était doté d’un budget de 50 millions de dollars, The Wall, sorti la même, ne coûta que 3 millions. Il faut dire que ses décors étaient spartiates (quelques ruines dans le désert) et sa distribution plus que resserrée, le film reposant sur les épaules d’Aaron Taylor-Johnson et la voix de Laith Nakli.
L’intrigue, simple sinon minérale, met en scène en Irak un binôme de soldats US – un tireur d’élite et son observateur – venus reconnaître le chantier d’un oléoduc ayant été la cible d’une attaque d’insurgés. La situation dégénère bientôt et voilà nos deux héros piégés par un sniper, le premier, blessé, gisant à découvert, le second, également touché, réfugié derrière un mur plus fragile que l’analyse des écrits de Hannah Arendt par le Lider Minimo. Le film, dès lors, adopte les règles sacrées de la tragédie classique (unité de lieu : un coin perdu du désert irakien ; unité de temps : l’intrigue dure moins d’une journée et s’achève au crépuscule ; unité d’action : se sortir de ce guêpier pour les deux GI’s, et bientôt pour le seul survivant) et ne s’étire pas inutilement.
Sobre, The Wall évoque bien sûr La Patrouille perdue (1938), de John Ford, ou deux films d’Alfred Hitchcock (Lifeboat, sorti en 1944, et La Corde, en 1948) par son dispositif. On pense surtout aux survival movies des années 80 et 90, comme les classiques Alien (1979), Piège de cristal (1988) et, naturellement, Predator (1987) mettant en scène des femmes et des hommes isolés, parfois solitaires, luttant contre des forces invisibles ayant la maîtrise du terrain. Tout l’intérêt de l’intrigue réside dans le déséquilibre d’un affrontement dont l’issue semble déjà écrite, et le scénariste, Dwain Worrell, continuera d’explorer le thème du soldat piégé dans The Abandon (2022, Jason Satterlund).
Dans The Wall, cette recette toujours efficace est adaptée au conflit irakien et à la figure mythique du sniper Juba, terreur des soldats de la Coalition et outil de propagande des groupes la combattant. Le tireur d’élite qui décime les rangs ennemis comme dans nombre de films consacrés de guerre n’est cependant pas seulement un technicien invisible. Il manœuvre et joue avec son adversaire. Profitant d’une compromission du réseau de communication, Juba parle en effet à son ennemi sur la fréquence tactique, opposant son calme et sa maîtrise du lieu à la panique qui monte chez son interlocuteur.
Sans être politiquement engagé, le film fait entendre au spectateur américain quelques remarques désagréables au sujet des interventions armées au Moyen-Orient, dont il faut cependant relativiser la portée morale puisqu’elles sont prononcées par un type qui vient d’abattre des ingénieurs. Il n’empêche, ça n’est pas inintéressant. L’ensemble, de toute façon, n’a aucune prétention particulière si ce n’est de divertir (on est ainsi à mille lieues de Dans la vallée d’Elah, le film monumental de Paul Haggis) mais il ne se présente pas non plus un quasi documentaire, à la différence de, parfaitement au hasard, Cœurs noirs (2023). Reste un récit tendu, sec, et une fin qui pourrait, si on en avait le temps, conduire à un long développement sur les contre-guérillas sans issue. Pour ne pas trahir l’esprit du film, on ne s’y risquera pas mais celles et ceux qui ont vu The Wall savent de quoi il s’agit.