En ces temps troublés et incertains, quelques questions ne seront pas inutiles...
Jabès, un grand penseur du XX° siècle. Un grand écrivain.
Bonne lecture...
PR
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5. Le dialogue des deux roses
-Alors, ami audacieux, tu défies mon âme.
-Je suis fidèle à l'amour
-L'amour n'aime que lui-même.
-Je suis la vie. Il m'appartient.
-Pas toujours. Les amoureux m'offrent leur vie.
-Les amants malheureux. Pas aimer.
-L'amour est le piège que tu tends aux hommes pour t'habiller de leurs frissons,
pour te nourrir de leurs larmes.
-Lumière dans les yeux, c'est l'amour.
-L'amour dévore les yeux qui voient.
-Froid ami.
-Mon complice. -Ici, fait remarquer le disciple de Reb Simoni,
il y eut un long silence, puis la voix devint suppliante. Donnez-moi Sara et Yukrl.
-Je ne peux pas les perdre.
-Un jour, tu finiras par céder.
-Peut-être, un matin où elle est heureuse ; dès qu'ils me sont devenus insupportables.
-Ici, j'ai cru l'entendre rire, observe le disciple de Reb Simoni. -Vous aurez quelques heures ou quelques semaines, cela dépendra,
pour les arracher.
-Cruel, tu sais qu'ils souffrent.
-L'amour est ma jeunesse,
-Tu es la vie.
-L'amour est le propriétaire de ma vie.
-Pourquoi la précipitation ? Vous les aimez tellement ? Tu rampes comme un esclave. Tu es amoureuse?
-L'amour ne m'intéresse pas.
« Alors pourquoi veux-tu m'enlever mes amants ?
-Parce que c'est dans l'ordre établi et aussi parce que c'est mon métier.
-Vous brûlez des étapes. Vous ne vous souciez plus de mon plaisir ? Tu me déçois.
-Parfois je suis tendre avec les humains.
-Parce que?
-Un peu par pitié. J'aime qu'ils me trouvent bien.
-Tu es jalouse. Tu meurs d'amour.
-Je tue tout ce que je touche.
- Ton corps est ivre de caresses, tes pétales sont mouillés de baisers attendus. Mais je suis fort. Je suis têtu.
Ça m'amuse de te faire attendre.
-Tu persistes à me faire du mal. Mais fais attention. Je peux me venger.
Ici, il m'a semblé, fait remarquer le disciple de Reb Simoni, qu'ils se sont approchés l'un de l'autre et
que leur attitude était provocante.
-Avoue que tu m'aimes bien ; qu'à travers les couples qui m'exaltent, c'est moi que tu veux.
Ils ont tourné le dos pour faire face à leur haine déchaînée peu de temps après, raconte
le disciple de Reb Simoni.
-Fille.
-Quelle aimable confession.
-Je ne manque pas de ressources. Tu me fais mal. Tu le sais. Mon désir me déchire complètement. Tant pis. Tant pis.
Tant pis. Cela ne compte que pour moi.
-Je te déteste.
-Je t'aime d'un amour impossible. J'élimine ceux qui m'empêchent de te serrer dans mes bras. Avec ses yeux, je fais deux lucarnes,
avec son corps, un navire perdu. Les plus voluptueux sont les plus vulnérables.
Quelques minutes ont dû s'écouler, observe ici le disciple de Reb Simoni,
dont je me souviens à peine. Des fragments de mots me parvenaient, dont
je ne pouvais comprendre le sens ; alors j'entendis très clairement :
-Tais-toi. Tu me laisses froid.
-Tu es la neige qui fond en avril.
-Je suis la fièvre. Je suis le soleil. Je déteste l'eau, les linceuls.
-Tu meurs à chaque naissance. Vous préparez avec talent les êtres, le monde, à leur fin annoncée. C'est fou que tu parles de moi.
Vous êtes l'antichambre. Je suis le lit. Vos victimes me demandent de l'aide. Leurs cris forment un grand collier autour de mon cou. Alors je me lève parmi eux dans ma splendeur inapprochable. Je saisis son regard pour toujours. Avec elle, je fais un chemin,
je fais un arc-en-ciel.
-Laisse moi vivre. Laisse-moi me nourrir de ma vie.
-Laisse-moi, ma rose somptueuse, savourer ma mort.
Quand je les ai approchés pour m'assurer qu'ils étaient réels, précise le disciple de
Reb Simoni, je me suis retrouvé devant deux roses ouvertes à l'avidité d'une abeille qui avait retrouvé son existence végétale.
« Yukel, écrivait Sara, est-il vrai que la mort aujourd'hui semble préférable au meilleur moment que nous ayons connu
dans notre courte vie ?
A toi, qui crois que j’existe,
Comment dire ce que je sais
Avec des mots dont la signification
Est multiple ;
Des mots, comme moi, qui changent,
Quand on les regarde,
Dont la voix est étrangère ?
Comment dire
Que je ne suis pas
Mais que, dans chaque mot,
Je me vois,
Je m’entends,
Je me comprends,
A toi dont la réalité
Renouvelée
Est celle de la lumière
A travers laquelle
Le monde prend conscience du monde
En te perdant
Mais qui réponds
à un prénom ?
Le désert, c'est le vide avec sa poussière. Au coeur de cet univers pulvérisé, dans son absence intolérable, seul le vide conserve sa présence ; non plus comme vide, mais comme respiration du ciel et du sable.
(Entretiens avec Le Monde. 2. Littératures. Paris, La Découverte / Le Monde, 1984, p.105)
1. A vous qui pensez que j'existe...
(« A vous qui croyez que j'existe,
comment puis-je dire ce que je sais
avec des mots dont les sens
sont multiples ; des
mots, comme moi, qui changent
quand vous les regardez,
dont la voix est étrangère ?
Comment puis-je dire
que je suis non
mais que, dans Chaque mot,
je me vois,
je m'entends,
je me comprends,
toi, dont la réalité
renouvelée
est celle de la lumière à
travers laquelle
le monde prend conscience que le monde
te perd
mais que tu réponds
à un nom d'
emprunt ?
Comment montrer ce que j'ai créé
de moi,
feuille après feuille,
où toute trace de mon pas
s'efface
par le doute ?
A qui sont apparues ces images
que je propose ?
En fin de compte, je réclame ce qui m'est dû.
Comment prouver mon innocence
quand l'aigle s'est envolé de mes mains
pour conquérir le ciel
qui m'étreint ?
Je meurs d'orgueil à bout
de forces.
Ce que j'espère est toujours plus loin...
Les mots sont des fenêtres, des portes entrouvertes dans l’espace ; je les devine à la pression de nos paumes sur elles, aux empreintes qu’elles y ont laissées.
(Le livre des questions, I. Paris, Gallimard, 1988, p. 153)
Lecture de Jean Lancri : une création originale inspirée par Edmond Jabès.
Ce cycle est proposé par la Maison des écrivains et de la littérature (Mel) en partenariat avec la BIS. Un mois avant la restitution, l'écrivain est invité à choisir un élément dans les fonds de la BIS. Lors de la rencontre publique, « le livre en question » est dévoilé. Chaque saison donne lieu à la publication d'un livre aux éditions de la Sorbonne "Des écrivains à la bibliothèque de la Sorbonne"
Saison 5 : Jean Lancri, Gaëlle Obiégly, Sylvie Germain et Michel Simonot