Les nouveaux codes de la distinction

Xavier Molénat

Sciences Humaines N° 224 - Mars 2011

Il y a trente ans, Pierre Bourdieu montrait comment les classes supérieures se distinguaient en s’appropriant les pratiques culturelles les plus nobles. Cette analyse est-elle toujours pertinente alors que le mélange des genres entre culture légitime et culture populaire semble être devenu la règle ?

« Exister (...), c’est différer, être différent (1) » : voilà, présentée sous une forme lapidaire, l’idée centrale que Pierre Bourdieu disait avoir voulu développer dans son maître ouvrage, La Distinction (1979). À grand renfort de statistiques, d’entretiens, de descriptions et de photos, le sociologue montrait en effet comment la culture et les styles de vie fonctionnaient, dans la société française, comme des machines à produire des différences et des hiérarchies. Il mettait ainsi en évidence le fait qu’il existe une certaine correspondance entre la hiérarchie des pratiques culturelles et celle des groupes sociaux. Les formes les plus légitimes, les plus « nobles », de culture (visite des musées et galeries, opéra) sont appropriées par les classes supérieures. Ces dernières sont singées par les classes moyennes, qui se contentent de produits « dégriffés », ersatz de culture légitime : jazz en lieu et place de musique classique, photographie, revues de vulgarisation, cinéma… Les classes populaires, elles, tendent à s’auto-exclure du jeu de la culture (« ce n’est pas pour nous »), se contentant de « produits culturels de grande diffusion » : variété, spectacles sportifs, télévision, romans policiers… Même lorsque des pratiques sont partagées par tous les [...]

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6 commentaires
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  • - le

    Je ne comprends pas votre commentaire "Prout Prout"...
    L'auteur tend surtout à démontrer que l'analyse de Bourdieu est encore d'actualité, à quelques nuances près. Apprenez à lire un texte correctement !! Chacun arrive avec ses revendications sans prendre le temps de se pencher sur la pensée d'autrui. Agaçant.
  • - le

    les bourgeois et les sociologues même combat ?
  • - le

    Ayant relu partiellement "les essais" de Montaigne , j'ai réalisé combien Michel de Montaigne avait décortiqué avant l'heure la nature humaine et par là même ouvert la voie à la sociologie moderne donc à Bourdieu. Son "habitus" est mis à jour dans le chapitre 22 du premier livre des essais intitulé : "Sur les habitudes, et le fait qu’on ne change pas facilement une loi reçue."
    Dans un monde mondialisé il est certes difficile de comparer l'impact de la nouveauté et des codes qui s'y rattachent.
    Cependant, on y lit que ce qui peut paraître vulgaire et inconcevable dans la société occidentale de l'époque ne l'est pas bien au contraire dans d'autres parties du monde, même au XVI ème siècle.
    Ce qui fait la distinction c'est la capacité à tendre vers la nouveauté et à s'approprier de nouvelles formes de culture. Pensez au chocolat et au café qu'il était de si bon ton d'en adopter l'usage dans les cours européennes pourtant "ordinaires" dans les contées lointaines...
    . Ou plus proche de nous l'engouement des classes huppées pour le jazz descendu direct des godspels des peuples en esclavage...Et encore plus proche de nous ces jeunes barbares urbains d'aujourd'hui qui empruntent les codes musicaux de l'opéra dans le métal symphonique . (cf reload Wagner d'Apocalyptica ou Thiéron qui réinvente l'opéra...
    La question reste que la distinction s'opère grâce à l'émancipation que chaque individu s'autorise.C'est là que l'éducation à la critique est essentielle et dans nos sociétés la frontière n'est plus bâtie que sur le capital mais sur la résistance à la norme.
    Puisse ce modeste message alimenter le goût de l'étude de tous nos grands hommes afin d'enrichir le débat.
    Je vous souhaite une bonne journée à tous.
  • - le

    je sais qu'en écrivant ce que je veux écrire je vais passer pour un "psycho-rigide bourdieusien" (rire). Mais tant pis, je prends le risque que cette étiquette (à mon avis fallacieuse et intéressée) me soit collée plus ou moins à vie ... J'ai eu l'occasion d'entendre et de lire (peu, je n'ai pas le temps à vrai dire de fouiller, même si ces problèmes, DIeu sait pourquoi d'ailleurs, me passionnent) des thèses "relativisant" ou "dépassant" plus ou moins Bourdieu (Pasquier, Lahire, Peterson...). Et bizarrement , ça m'a plus donné envie de relire La Distinction qu'eux même. Pourquoi? parce que même si bien évidemment les données historiques sur lesquelles Bourdieu se fondait sont dépassés (il ne faut pas oublier que déjà à l'époque de Bourdieu et de Richard Hoggart, des sociologues affirmaient haut et fort que la société se massifiiait et que les frontières entre classes sociales disparaissaient, notamment grâce à la télévision, à la radio, aux bibliothèques, etc...), il reste que La Distinction a peut être un point de vue et une force qui manque à ces différentes études. D'abord bien évidemment, on n'y retrouve pas la pugnacité et l'art de Bourdieu à "chasser le social": il cherche le social jusqu'au bout, et lorsqu'il rencontre des apparences contradictoires (tous les élèves des lycéess semblent parler le même langage culturel, il y a des dispositions d'apparence contradictoires dans les goûts d'un individu...), il présuppose non pas que le monde social disparait (solution de facilité à vrai dire), mais que sa méthode n'est pas assez fine, qu'il n'a pas encore trouver les bons facteurs pour rendre compte du social par le social. Ensuite, du point de vue de l'auto analyse personnelle, autant bizarrement la Distinction me pousse à me poser des questions sur la "particularité" de ma façon de prendre la vie dans ce monde là, bizarrement ces études qui en première apparence nous libèrent d'une sociologie déterministe trop rigide ne me poussent pas du tout à la curiosité sur moi même et les autres. Elles prennent le monde comme il se présente: "libre"....Amicalement, Lionel.
  • - le

    "On voit donc qu’en matière culturelle, les frontières entre groupes sociaux se sont complexifiées : l’homologie que pointait Bourdieu entre la hiérarchie de légitimité des pratiques et la hiérarchie des groupes sociaux n’a visiblement plus cours."

    Etonnant que l'auteur conclue ainsi alors que tout son article tend à démontrer quasiment le contraire. J'imagine qu'il aurait été du dernier mauvais goût de rendre quelques couleurs à Bourdieu, en ces temps qui veulent désigner 68 comme le fondateur de l'ultra-libéralisme.
  • - le

    Non l'article montre que la correspondance entre la hiérarchie culture légitime/culture "dégriffée"/culture populaires et la hiérarchie des groupes sociaux ne se vérifie plus aujourd'hui, notamment du fait que les classes supérieures consomment largement ce que l'on appelait autrefois de la "culture de masse" : musique rock ou variétés, polars, cinéma.... Donc on ne peut pas dire "à chaque classe sa culture".
    Mais des hiérarchies se sont recréées, au sein de chaque pratique, et aussi dans les manières de consommer. Donc personne (ou presque) n'a dit que Bourdieu était mort ! Il a décrit il y a plus de 30 ans un état des pratiques culturelles, rien n'indique que cet état devait se perpétuer ad vitam aeternam ; ce n'est pas pour autant que les mécanismes qu'il a décrit ne sont plus valables.
    Si vous êtes abonnés, je vous conseille à cet égard l'entretien avec Philippe Coulangeon dans les derniers grands dossiers de Sciences Humaines :
    http://www.scienceshumaines.com/entretien-avec-philippe-coulangeon-les-nouveaux-clivages-culturels_fr_28581.html
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